Marchés Publics : le DCE fait-il toujours loi ?

Une décision jurisprudentielle récente pourrait modifier les pratiques des fournisseurs soumissionnaires et des acheteurs dans l’attribution de leurs marchés. En effet, la CAA de DOUAI, 2ème chambre, 9 janvier 2024, 22DA02510 a rendu un arrêt qui rappelle que les caractéristiques techniques fixées par les documents de la consultation ne peuvent avoir pour objet ou pour effet d’interdire aux candidats de présenter des solutions équivalentes dès lors qu’elles permettent de satisfaire aux exigences de performances minimales attendues.

 

Le principe du respect des exigences minimales

Le principe dans les marchés publics est que l’acheteur définit son besoin et donc les spécifications techniques à respecter. Ces spécifications sont formulées par référence à des normes ou en termes de performance ou d’exigences fonctionnelles. Cette rigueur a pour but d’assurer notamment le respect d’égalité de traitement des candidats. Ainsi, l’offre du candidat doit se conformer strictement aux exigences du cahier des charges, et tout écart peut conduire à la qualification d’une offre irrégulière et donc à son éviction. Néanmoins, l’acheteur dispose d’un outil permettant de stimuler l’innovation en autorisant les variantes à l’initiative du candidat dans son Règlement de la Consultation.  Pour rappel, une offre qui comporte un procédé d’exécution différent de celui qui est prévu dans le cahier des clauses techniques particulières constitue une variante, même si sa mise en oeuvre permet la réalisation d’un ouvrage conforme à celui qu’a demandé la personne publique. Il s’agit donc de modifications, à l’initiative des candidats, de spécifications prévues dans les documents de la consultation sous réserve du respect des exigences minimales également décrites par l’acheteur dans ces mêmes documents. La variante est donc une offre à part entière pour laquelle l’acheteur applique les mêmes critères de jugement des offres. Juger sur la base des mêmes critères n’est d’ailleurs pas une mince affaire pour l’acheteur !

Les exigences minimales correspondent aux caractéristiques essentielles de la prestation que les offres doivent respecter sous peine d’irrégularité. Les enjeux pour l’acheteur sont de fixer le degré d’acceptabilité des modifications apportées à la solution de base et ainsi garder la maîtrise du besoin mais aussi de faciliter l’analyse des offres remises.

La faculté de toujours proposer une solution technique équivalente

La CAA indique que, pour respecter les exigences de performance minimales, les candidats peuvent proposer des solutions équivalentes aux caractéristiques techniques du cahier des charges. 

Avec cette nouvelle jurisprudence, le juge met en valeur la notion de performance minimale imposée. La compréhension du besoin de l’acheteur sous l’angle de sa performance minimale permet au candidat de remettre une offre pragmatique. Les acheteurs publics ont-ils maintenant la possibilité d’évaluer la pertinence des offres alternatives en dehors de variantes autorisées et donc du respect des exigences minimales prévues ? La solution alternative peut elle être à l’initiative du candidat ?

Une opportunité pour les entreprises : l’offre pertinente

Cette évolution représente une opportunité significative pour les entreprises, qui peuvent maintenant soumettre des offres à valeur ajoutée substantielle. Cela permet alors une plus grande liberté créative et stratégique dans les réponses aux consultations.

Néanmoins elle risque d’apporter une analyse des offres plus complexe pour l’acheteur.

Pour les entreprises, cela signifie qu’il est crucial d’adopter une approche proactive dans la compréhension des besoins réels des acheteurs et d’explorer des solutions alternatives qui peuvent répondre à ces besoins de manière plus efficace ou plus économique. L’accent est désormais mis sur la qualité et la pertinence des solutions proposées, plutôt que sur la simple conformité aux détails techniques du cahier des charges. La notion d’offre conforme disparait au profit de celle de l’offre pertinente.

Pour les acheteurs : une rigueur accrue

Pour les acheteurs publics, cette nouvelle flexibilité implique une rigueur accrue. Ils doivent maintenant évaluer la pertinence des offres alternatives avec une attention particulière, en s’assurant que ces offres apportent une réelle valeur ajoutée tout en respectant les principes de transparence et d’égalité de traitement des candidats. Cela signifie que les critères de jugement devront être appliqués de manière rigoureuse et objective pour éviter tout risque de favoritisme ou d’injustice.

Il est également essentiel que les acheteurs publics définissent clairement les objectifs et les attentes dès la phase de rédaction du cahier des charges. Une analyse approfondie des besoins réels du projet permettra de mieux apprécier les offres alternatives et d’assurer que les solutions proposées sont véritablement adaptées aux besoins identifiés. Les acheteurs pourront notamment développer cette compétence grâce à la phase de sourcing qui leur permet de comprendre le marché concurrentiel et les offres des fournisseurs.  

Cette décision jurisprudentielle pourrait avoir des impacts sur la manière dont les marchés publics sont gérés et attribués. D’une part, elle favorise l’innovation et la créativité en permettant aux entreprises de proposer des solutions qui vont au-delà des exigences strictes des cahiers des charges. D’autre part, elle exige une gestion plus rigoureuse de la part des acheteurs publics, qui devront naviguer entre flexibilité et rigueur pour garantir une attribution équitable et transparente des marchés.

A la lumière de cette décision, à l’avenir, il sera intéressant de suivre l’évolution des pratiques de sourcing et des méthodes d’analyse des offres.

Article rédigé par Loren Sage, Chargée de Marketing Digital et Communication

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