Depuis plusieurs mois, déjà, une tension mondiale s’est accrue concernant l’approvisionnement en matériaux accompagnée par une hausse progressive des prix. Ces tensions sur les marchés de matières premières ont engendré des pénuries sans précédent.
Cette situation inédite a pour principale cause la crise sanitaire liée à la pandémie de la Covid-19. En effet, les arrêts de production de fournisseurs de matières premières pendant la pandémie en lien avec les différents confinements suivis par une reprise brutale de l’activité économique, ont entraîné une hausse des prix et une forte demande en matières premières. De plus, la demande asiatique très soutenue, couplée avec la reprise rapide des Etats-Unis et leur politique de taxation du bois canadien, ont accentué la demande et l’inflation des prix.
De nombreux secteurs sont touchés, les délais de livraison sont très largement repoussés et les livraisons de matériaux peuvent même être annulées. Les entreprises ne pouvant respecter leurs engagements contractuels se retrouvent exposées à des pénalités et autres sanctions contractuelles.
Alerté par la Fédération Nationale des Travaux Publics, le gouvernement s’est exprimé, à travers un communiqué de presse le 20 mai 2021, afin de sensibiliser les acheteurs publics et de mettre en place une médiation. La Direction des affaires juridiques a alors publié une fiche technique le 27 juillet 2021 sur les mesures destinées à pallier les difficultés rencontrées par les entreprises pour la passation et l’exécution des marchés publics confrontés à la flambée des prix et au risque de pénurie des matières premières. Cette fiche technique a été mise à jour le 29 juillet 2021 à la suite de la publication d’une circulaire du 16 juillet 2021 visant à aménager les conditions d’exécution des marchés publics de l’Etat face aux difficultés d’approvisionnement.
Au regard de cette situation préoccupante pour les entreprises, des aménagements concernant l’exécution des marchés publics peuvent être pris en compte par les acheteurs publics et certains points d’attention pour la rédaction des futurs marchés devront l’être :
Prise en compte des difficultés d’approvisionnement dans les marchés en cours d’exécution
Les premières mesures explicitées dans la fiche technique sont l’adaptation des délais d’exécution et de l’application des pénalités contractuelles. Au regard des difficultés d’approvisionnement, il est rappelé que les acheteurs publics peuvent aménager les délais d’exécution, lorsque des circonstances extérieures mettent le titulaire dans l’impossibilité de les respecter, et peuvent aussi renoncer aux pénalités de retard.
De plus, la Direction des affaires juridiques profite de cette publication pour énoncer à nouveau les circonstances constitutives de cas de force majeure : événement extérieur, imprévisible et irrésistible. Il ne faut pas non plus oublier que ces conditions devront s’apprécier au cas par cas. Ainsi, ces aménagements ne sont pas dû pour toutes les entreprises ayant un retard dans l’exécution des prestations ; les stipulations du contrat seront étudiées.
Puis, la fiche précise, aux acheteurs publics, les conditions de prise en compte de l’augmentation des prix des matières premières dans les contrats en cours d’exécution. Un rappel est effectué quant à l’intangibilité des prix en l’absence de clause de révision de prix ou de réexamen. Toutefois, la théorie de l’imprévision peut être mise en œuvre permettant aux entreprises la possibilité d’effectuer une demande d’indemnisation ou de résiliation. Ce droit est évidemment soumis à plusieurs conditions comme le fait de démontrer que l’augmentation des prix des matières premières bouleversant temporairement l’économie du contrat était « imprévisible, soit dans sa survenance, soit dans son ampleur ».
Enfin, en ce qui concerne les contrats en cours d’exécution, le gouvernement continue son évocation des règles du droit de la commande publique avec la possibilité de signer un acte modificatif au contrat (communément appelé « avenant ») si les modifications sont indispensables pour faire face aux circonstances imprévues.
Points d’attention pour la rédaction des futurs marchés
Après avoir évoqué les possibilités offertes par le droit pour les contrats dont l’exécution est en cours, il faut aussi prendre en compte celles offertes aux personnes publiques, pour prévenir les difficultés rencontrées par les entreprises lors de l’apparition de situation de pénurie de matières premières, dans l’élaboration de leurs contrats.
Ainsi, il existe des obligations en matière d’actualisation et de révision des prix. Le code de la commande publique prévoit, lorsque les prestations sur lesquelles porte le marché sont « exposées à des aléas majeurs du fait de l’évolution prévisible des conditions économique », que les marchés publics soient conclus à un prix révisable. L’établissement de formules de révision ou d’actualisation des prix va permettre une prise en compte des fluctuations des prix.
La mise en œuvre d’une clause de révision des prix peut aussi être accompagnée d’une clause relative à la gestion des délais d’exécution ou à celles relatives aux avances et aux délais de paiement.
Les demandes d’aménagement des conditions d’exécution des marchés publics, sont-elles suffisantes ?
La fiche technique du gouvernement se termine en rappelant, à l’instar de la circulaire du Premier ministre, qu’il est primordial de respecter les délais de paiement. Il avait aussi rappelé la nécessité d’aménager les délais d’exécution alors même que les marchés publics ne contiendraient pas de clause contractuelle le permettant si cela est « compatible avec le bon fonctionnement des services publics » ; ainsi que de renoncer aux sanctions contractuelles.
Cette notice a certes été publiée en réaction à une situation inédite, toutefois, elle permet de mettre en avant les éléments à mettre en place pour que la bonne exécution du contrat soit optimale. Cependant, l’imprévisibilité de ce type de situation ne permet pas de garantir aux entreprises que tous les acteurs de la commande publique et du secteur du bâtiment soient prêts à réagir si une situation nouvelle de pénurie se présentait. Tout du moins, des points d’attention ont été mis en lumière et il ne tient qu’à ces acteurs de tout mettre en œuvre pour débloquer et accompagner les entreprises pour une reprise efficiente ainsi que munir leur contrat de clauses protectrices pour les parties les plus vulnérables.
A la question « est ce que cette ligne de conduite est suffisante pour désamorcer la situation de pénurie de matières premières ? », la réponse pour la rentrée est mitigée et tend à se rapprocher d’un « non ».
Pour cette rentrée de septembre 2021, les tensions sont toujours de mise. Selon la Fédération Française du Bâtiment, « les retards d’approvisionnement et la flambée des prix n’obligent pas encore à annuler des commandes de travaux mais les entreprises commencent à s’en inquiéter ». Reste plus qu’à espérer que cet appel à la solidarité ait un impact positif et que les entreprises n’aient pas à souffrir, outre mesure, des conséquences de cette pénurie et inflation des prix des matières premières.
Gwendoline GILLET
Juriste-consultant et Chef de projet Ordiges France
Spécialisée en Droit public des affaires et contrats publics