L’organisation de la fonction achat au sein des GHT semble connaître, en ce début d’année 2017, une évolution dans les réflexions juridiques et la mise en œuvre organisationnelle. Le nombre de professionnels inquiets de la tournure de la réforme opérée par la loi n°2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé n’a cessé de croître ! Et pour cause : le cadre juridique très incertain des nouveaux groupements hospitaliers de territoire (GHT) mis en vigueur par le décret d’application n°2016-524 du 27 avril 2016 relatif aux GHT – et notamment de l’organisation de la fonction achat – ne semble pas contenir la frénésie des débats , si bien qu’au cours des Journées de l’achat hospitaliers des 8 et 9 décembres 2016, la Direction générale de l’offre de soins (DGOS) faisait marche arrière en annonçant la refonte de ce décret…
Que dit la législation sur la fonction achat en GHT ?
Loin de dissiper la brume s’abattant sur les GHT, l’annonce n’a fait qu’accentuer le flou sur les intentions des pouvoirs publics quant à l’organisation de la fonction achat hospitalière, flou accentué par l’accumulation du retard dans la publication du guide de la fonction achats contenant notamment des recommandations sur « les méthodologies et les modalités opérationnelles de mise en place de cette fonction[1] », initialement promis en fin d’année 2016. Certaines précisions ont été communiquées au mois de décembre, parmi lesquelles le fait que l’activité d’approvisionnement serait exclue de la fonction achat. L’établissement support serait en charge de la politique, de la planification, de la stratégie d’achat et du contrôle de gestion des achats pour l’ensemble des marchés. A ce titre, il assurerait la passation des marchés au sens de l’ordonnance du 23 juillet 2015.
Dans cette logique, la date du 1er janvier 2018 est avancée comme échéance pour le transfert des compétences du directeur de l’établissement support, qu’il exercera pour le compte des établissements parties pour les fonctions mentionnées à l’article L 6132-3 du code de la santé publique. Au regard de ces diverses annonces, la mise en œuvre de l’organisation concrète de la fonction achat continue de soulever des interrogations, et notamment sur les outils juridiques permettant d’opérer une mutualisation efficace de la fonction achat.
Il est clair que, si la DGOS a pu préconiser le recours aux groupements de commandes, ces derniers s’avéraient être des outils de coopération très peu enclins à favoriser une bonne synergie des établissements parties à un GHT[2]. Une alternative semble néanmoins pouvoir être trouvée dans la seconde modalité mise à disposition par la réclamation sur les marchés publics pour effectuer des achats mutualisés : la centrale d’achat.
Eriger l’établissement support en tant que centrale d’achat ?
Pour organiser la fonction au sein des GHT, pourquoi ne pas ériger directement l’établissement support en tant que centrale d’achat ? De toute évidence, il s’agit là d’une solution beaucoup plus souple et efficiente que le groupement des commandes. Et ce d’autant plus qu’un établissement support dispose a priori de la capacité d’intervenir en tant que centrale d’achat. En effet, l’une des lectures possibles des textes peut laisser penser qu’en ayant acquis par vois législatives la capacité d’exercer les missions inhérentes à la fonction achat pour le compte des autres membres du GHT, il a désormais « pour objet d’exercer des activités d’achat centralisées[3] ».
Par ailleurs il ne faut pas négliger la possibilité pour les membres d’un GHT de constituer une centrale d’achat non pas autour de l’établissement support mais à travers la création d’une entité ad hoc[4] que seuls les membres d’un GHT pourraient rejoindre. A supposer que des GHT retiennent ce mode de constitution lors de la création d’une centrale d’achat, il semble nécessaire , pour rester dans l’esprit de la réforme, que l’établissement support, qui a un rôle de coordinateur du GHT, ait une part plus importante que les autres structures constituant cette nouvelle entité. Pour autant, cette solution s’avère en définitive beaucoup moins intéressante que celle abordée initialement dans la mesure où, d’un côté, cette part prépondérante accordée à l’établissement support fait resurgir le débat du dessaisissement total de la fonction achat au détriment des autres établissements parties au GHT, puisqu’il est certain que les membres minoritaires auront beaucoup moins de poids décisionnel au sein d’une structure organique que dans le cadre d’une structure fonctionnelle où ils conservent leur personnalité morale et, par conséquent, une certaine autonomie.
D’un autre côté, de telles structures ad hoc, qui se superposeraient nécessairement aux GHT, créeraient une certaine « lourdeur » administrative avec l’apparition de nouvelles instances décisionnelles, une gestion des comptes supplémentaires, etc.
Les atouts de la centrale d’achat pour les GHT
Il convient de rappeler qu’une centrale d’achat peut prendre deux formes : « centrale d’achat/revente », qui acquiert des « fournitures ou [des] services destinés à des acheteurs » ou bien « centrale d’intermédiation contractuelle » qui passe « des marchés publics de travaux, de fournitures ou de services destinés à des acheteurs ». Elles présentent toutes deux des atouts indéniables face aux autres outils et notamment le groupement de commande.
En effet, indépendamment de sa forme, la centrale d’achat permet à un acheteur de se rattacher à tout moment à un marché passé par ladite centrale et cela même pendant sa phase d’exécution – au contraire, une fois la convention constitutive de groupement de commande signée, le marché passé en groupement de commandes ne peut accueillir d’autres acheteurs que ceux qui ont signé ladite convention.
Rattaché à la réforme des GHT, cette possibilité n’est clairement pas négligeable dans la mesure où il n’est pas rare qu’un établissement fasse ressentir un besoin plusieurs années après la passation d’un marché, ce qui permet de le rattacher au marché passé en centrale d’achat plutôt que de relancer un marché individuel, processus qui se veut contraire à la volonté de mutualisation de la fonction achats prônée par les textes régissant les GHT.
Ainsi la mise en œuvre de la réforme sur les GHT conduira-t-elle nécessairement à une réflexion sur l’outil juridique le plus à même de mutualiser la fonction achats et d’organiser de la manière la plus efficace les synergies entre les différents établissements parties à un GHT.
A ce titre, il convient de souligner la récente publication d’une ordonnance de janvier 2017 venant préciser les modalités de la procédure de fusion des établissements publics de santé[5], qui semble mettre en valeur la volonté des pouvoirs publics d’élargir le champ des possibilités en matière de mutualisation de la fonction achat entre les établissements publics de santé. Au regard de ces textes et des interrogations qui en découlent, il est nécessaire d’établir un dialogue soutenu entre les acteurs du secteur hospitalier afin de parvenir à une forme optimale de mutualisation de la fonction achat, forme qui variera potentiellement d’un GHT à un autre.
[1] Extrait de l’article de Sabine Neulat Isard « Achats et GHT : le guide de la fonction achat est en phase de relecture », TecHopital.com, 14 octobre 2016.
[2] Voir notamment en ce sens « Créer une centrale d’achat : quels avantages ? », Me Rodolphe Rayssace, achatpublic.info, 23 janvier 2013.
[3] Article 26 de l’ordonnance n°2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics.
[4] Type groupement d’intérêt public (GIP), groupement d’intérêt économique (GIE), groupement de coopération sanitaire (GCS), associations…
[5] Ordonnance n°2017-47 du 19 janvier 2017 précisant la procédure de fusion des établissements publics de santé et modifiant le code de la santé publique.
Rédigé par Sélim Sekakri- Juriste-consultant, Ordiges France et
Rodolphe Rayssac et Pierre-Yves Nauleau – Avocats au barreau de Paris, Cabinet Rayssac Avocats
Paru dans Techniques Hospitalières, mars-avril 2017, n°762