L’intelligence artificielle (IA) est souvent définie comme étant « un ensemble des théories et des techniques développant des programmes informatiques complexes capables de simuler certains traits de l’intelligence humaine » (Le Petit Robert). Depuis plusieurs années, son champ d’application s’est étendu et elle forme désormais partie de notre quotidien.

Les marchés publics, traditionnellement marqués par des procédures complexes, la gestion laborieuse des contrats et des délais prolongés, se trouvent à un carrefour décisif. L’IA, avec son potentiel d’automatisation intelligente, émerge comme un catalyseur prometteur pour surmonter ces défis.

Cette avancée technologique offre de nombreux avantages, cependant, étant donné que la commande publique traite des données sensibles, plusieurs préoccupations ont également émergé quant à son utilisation. On vous en raconte plus dans cet article.

Les avantages de l’intégration de l’IA dans les marchés publics

L’intégration de l’intelligence artificielle dans les marchés publics ouvre la voie à une transformation majeure, offrant des avantages substantiels pour l’efficacité opérationnelle et la transparence.

Amélioration de l’efficacité des processus

Les marchés publics sont confrontés à une série de défis majeurs, depuis la phase de sourcing jusqu’à la conclusion des contrats. La perte de temps lors du tri des fournisseurs, la gestion inefficace du flux de travail des acheteurs, les procédures complexes, la mauvaise gestion des contrats, les actions manuelles fatigantes dans le traitement des consultations et le temps considérable nécessaire pour conclure les contrats sont autant de problèmes qui entravent l’efficacité du processus.

Une solution prometteuse pour remédier à ces problèmes est l’utilisation de l’intelligence artificielle, en particulier des algorithmes de machine learning (ML). Ces algorithmes, nécessitant des données nombreuses et précises, peuvent être gérés par des experts pour structurer efficacement les processus. La qualité des données doit être une préoccupation majeure et l’exploitation du traitement du langage naturel (NLP), une composante de l’IA, offre une réponse adaptée aux exigences spécifiques du secteur public.

L’IA, grâce à un traitement intelligent des contrats et à l’utilisation du NLP, fournit un ensemble d’outils d’analyse anticipative. Cela permet d’anticiper les tendances du marché, évaluer les risques potentiels liés à la commande et déterminer les failles du marché, facilitant ainsi les prises de décision des acheteurs publics. Cependant, les acheteurs publics devront s’adapter à ce nouveau système et prévoir une période d’apprentissage pour en tirer pleinement parti.

Renforcement de la transparence et de la conformité

L’intelligence artificielle joue un rôle essentiel dans la modernisation des marchés publics, offrant des avantages significatifs qui améliorent à la fois l’efficacité et la transparence du processus.

Un avantage majeur de l’IA dans les marchés publics réside dans sa capacité à fournir un suivi en temps réel des différentes étapes du processus. Les parties prenantes, notamment les entreprises soumissionnaires, peuvent bénéficier d’une visibilité instantanée sur l’avancement des procédures. Grâce à des tableaux de bord interactifs, les entreprises peuvent suivre en temps réel l’état de leur soumission, créant ainsi un environnement transparent qui renforce la confiance dans le processus d’adjudication.

Cependant, l’impact de l’IA ne se limite pas au suivi des procédures. Un autre avantage crucial, souligné par Arnaud Salomon, associé chez CKS Consulting, est le meilleur accès à l’information qu’elle offre aux directions achats. Cette capacité à trier les informations pertinentes s’avère particulièrement précieuse dans le sourcing, simplifiant la sélection des fournisseurs les plus adaptés. De plus, dans la lecture de contrats, l’IA peut créer des segmentations et des tables des matières, facilitant ainsi la compréhension et l’analyse des documents.

Les défis et les préoccupations liés à l’intégration de l’IA dans les marchés publics

Bien qu’elle présente des avantages, l’intégration de l’intelligence artificielle dans les marchés publics comporte également quelques défis dont la confidentialité des données et la nécessité de bénéficier de compétences spécifiques en interne.

Risques liés à la confidentialité des données

En premier lieu, la sécurité des données est une préoccupation majeure. Les plateformes d’intelligence artificielle soulèvent des inquiétudes en raison du non-respect de plusieurs points du RGPD. Les informations concernant le traitement des données personnelles, y compris celles qui sont confidentielles, ne sont pas clairement spécifiées par certaines plateformes, posant ainsi un risque potentiel pour la sécurité des données des entreprises.

Un autre défi réside dans la réutilisation des informations fournies à l’IA. En répondant à un appel d’offres, les entreprises partagent des éléments inhérents à leur fonctionnement, tels que des notes internes, des tableaux de bord ou des performances. Ces données, une fois saisies dans les plateformes, peuvent être réutilisées par d’autres utilisateurs dans le cadre de nouvelles requêtes dans le cadre du ML, suscitant ainsi des préoccupations croissantes en matière de confidentialité.

Enfin, le risque de violation des droits d’auteur et de propriété des données est également présent. L’utilisation de l’IA pour rédiger des réponses à des marchés publics peut conduire à la reproduction de contenus protégés par des droits d’auteur, posant ainsi des problèmes juridiques potentiels.

Besoin de compétences spécialisées

L’intégration progressive de l’IA dans les processus de passation des marchés publics, à travers divers projets pilotes, suscite des perspectives prometteuses mais soulève également des questions cruciales quant à la qualité et à la réglementation de cette utilisation.

L’intelligence artificielle se déploie déjà pour détecter et recenser les appels d’offres, ainsi que pour les analyser. Le potentiel gain de temps est indéniable mais des interrogations subsistent quant à la finesse de l’analyse, surtout en ce qui concerne les aspects subjectifs des offres.

Pour assurer une transition réussie vers l’utilisation de l’IA dans les marchés publics, des mesures spécifiques doivent être prises. La formation du personnel aux technologies de l’IA est un pilier essentiel, impliquant notamment les départements de conformité, juridique, protection des données personnelles, développement de produits, informatique, sécurité et approvisionnement. Elle garantit une compréhension adéquate des résultats des systèmes d’IA, favorise des prises de décision éclairées et renforce la confiance dans cette évolution technologique majeure.

En parallèle, la sensibilisation de l’organisation aux nouvelles obligations règlementaires, notamment celles imposées par le nouvel AI Act, est aussi une étape incontournable pour une adoption responsable de cette technologie.

Le cadre réglementaires européen pour une intégration réussie de l’IA

En avril 2021, la Commission européenne a posé un jalon historique en proposant le tout premier cadre réglementaire de l’Union européenne sur l’intelligence artificielle : l’Artificial Intelligence Act, aussi appelé AI Act. Cette initiative vise à établir des normes éthiques, sûres et dignes de confiance pour les systèmes d’IA, tout en respectant les valeurs et droits fondamentaux de l’UE.

La proposition de règlement distingue quatre niveaux de protection en fonction des risques associés aux systèmes d’IA. La grande majorité des systèmes, jugés ne présentant que des risques minimes ou nuls, continueront à être utilisés sans réglementation spécifique. Pour les systèmes présentant des risques limités, une légère obligation de transparence sera imposée pour permettre aux utilisateurs de prendre des décisions éclairées.

En revanche, les systèmes d’IA à haut risque seront autorisés à condition de respecter un ensemble d’exigences et d’obligations rigoureuses pour accéder au marché de l’UE. Certains usages jugés inacceptables, tels que la manipulation comportementale cognitive et la reconnaissance des émotions sur le lieu de travail, seront interdits dans l’UE. De plus, les systèmes d’identification biométrique à distance, y compris la reconnaissance faciale, seront également proscrits, sauf exceptions.

L’objectif principal de cette régulation est de garantir la sécurité des systèmes d’IA sur le marché européen tout en préservant les droits fondamentaux. Cette proposition législative, pionnière en son genre, pourrait établir une norme mondiale pour la régulation de l’IA, à l’image du RGPD dans le domaine de la protection des données.

Le processus législatif prévoit une révision régulière tous les six mois pour s’adapter à l’évolution rapide du secteur de l’IA. Les agences nationales, telles que la CNIL, joueront un rôle essentiel dans l’ajustement continu de la réglementation.

En anticipant une entrée en vigueur potentielle en 2025, le règlement prévoit également la création d’un office européen de l’IA et des sanctions financières pouvant atteindre 7% du chiffre d’affaires, plafonnées à 35 millions d’euros, en cas de non-respect. En fixant ces normes, l’UE souhaite ouvrir la voie à une approche mondiale de l’IA qui soit éthique, sûre et digne de confiance, tout en affirmant son rôle de pionnier dans la réglementation des technologies à l’échelle internationale.

 

En conclusion, l’intégration de l’intelligence artificielle (IA) dans les marchés publics marque une étape cruciale vers une modernisation et une efficacité accrues. Bien que les avantages tels que l’amélioration des processus, la transparence et la conformité soient indéniables, des préoccupations subsistent, notamment en matière de confidentialité des données et de nécessité de compétences spécialisées. Le cadre réglementaire proposé par la Commission européenne représente une avancée majeure pour garantir l’éthique, la sécurité et la confiance dans l’utilisation de l’IA, et pourrait placer l’UE en tant que pionnière dans la régulation de l’IA à l’échelle internationale.

Article rédigé par Sarah Expósito Ragaigne, chargée de marketing et communication digitale

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