Madame Ubaud-Bergeron évoque le droit de la commande publique comme le résultat « d’une lente convergence du droit français vers le droit de l’Union européenne rompant avec nos distinctions classiques fondées sur la différence entre contrats privés et contrats administratifs et entre personnes publiques et personnes privées »[1] .

En effet, le droit de la commande semble rompre avec la traditionnelle summa divisio droit public et droit privé. Preuve en est, le droit de l’Union a permis de mettre en place en droit interne des procédures identiques permettant de garantir le respect du droit de la commande au sein des deux ordres juridictionnels.

Cependant, cette mutation du droit pose une difficulté qui est celle de déterminer le juge compétent en cas de contentieux relatif à un contrat de la commande publique.

Dès lors, il conviendra de s’intéresser à la nature d’un contrat de la commande publique, qui peut être administratif ou privé afin de pouvoir y dégager les similitudes et différences de régime entre ces contrats.

Distinction générique entre les contrats administratifs et les contrats de droit commun

En droit interne, deux ordres juridictionnels coexistent : la juridiction judiciaire, compétente en principe pour les litiges de droit privé (relation horizontale Individu-Individu) et la juridiction administrative, compétente en principe pour les litiges de droit public (relation verticale Etat-Individu).

Connaître la nature juridique d’un contrat permet de saisir la juridiction compétente en cas de litige sans se confronter à une irrecevabilité.

Il conviendra alors de définir ce qui caractérise un contrat administratif pour déterminer les contours de la nature juridique d’un contrat de droit commun.

Les critères qualificatifs d’un contrat administratif

En premier lieu, la qualification d’un contrat administratif peut être d’origine légale. Ces contrats sont abondamment qualifiés par la loi. Par exemple, la loi du 10 février 2000 relative à la modernisation et au développement du service public de l’électricité qualifiait les contrats de rachat d’électricité de droit privé (à son article 10) avant que la loi Grenelle 2 du 12 juillet 2010 ne modifie cette disposition en rendant ces contrats de rachat administratifs (à son article 88).

En second lieu, dans le silence de la loi, des critères jurisprudentiels permettent de qualifier un contrat de contrat administratif. En effet, un contrat est administratif s’il cumule le critère organique et un des critères matériels. Il est à noter que les contrats conclus par les personnes publiques sont présumés de droit privé hors détermination de la loi ou de l’application des critères jurisprudentiels qui les qualifient d’administratif à la différence des actes unilatéraux de l’administration qui sont en principe administratifs lorsqu’ils ont été édictés par une personne publique[2]

S’agissant du critère organique, il faut en principe qu’une personne publique soit partie au contrat. Ce critère n’est pas suffisant car un contrat peut faire naître que des rapports de droit privé (TC, 1983, UAP ). Par exception au principe, un contrat peut être administratif s’il est passé par une personne privée qui possède un mandat explicite d’une personne publique. Dans tous les cas, il est nécessaire de cumuler au critère organique, un des critères matériels.

S’agissant du premier critère matériel, il faut soit que l’objet du contrat confie au cocontractant de l’administration une mission de service public (CE, 20 avril 1956, Epoux Bertin) ou soit que le contrat est un moyen utilisé par le contractant public pour remplir sa mission de service public (TC, 1968, société Distilleries Bretonnes).

S’agissant du deuxième critère matériel, le contrat doit contenir des clauses exorbitantes de droit commun (CE, 31 juillet 1912, Société des granits porphyroïdes des Vosges ; TC, 13 octobre 2014, Société Axa France lard).

S’agissant du troisième critère, le contrat est conclu sous un régime exorbitant de droit commun entourant la passation et/ou l’exécution du contrat (CE, 19 janvier 1973, Société d’exploitation électrique de la rivière du Sant).

Un contrat est donc administratif s’il est déterminé comme tel par la loi ou s’il cumule le critère organique et un des critères matériels.

La nature juridique des contrats de droit commun

De manière négative, un contrat de droit commun est un contrat qui est soit déterminé par la loi soit qui ne rentre dans le champ d’application des critères jurisprudentiels suscités.

A ce titre, un contrat de droit privé peut très bien être contracté par une personne morale de droit public. Cela concerne les contrats portant sur un objet financier (contrat de garantie d’emprunt) ou sur le recrutement de salarié de droit privé.

Ces contrats relèvent donc de la compétence du juge judiciaire.

 

 

La nature et le régime hybride des contrats de la commande publique

Les contrats de la commande publique peuvent être conclus par des personnes morales de droit public et par des personnes morales de droit privé. A ce titre, ces contrats peuvent autant relever de la compétence d’un juge judiciaire que d’un juge administratif. De cette nature hybride découle un régime qui présente de forte similitude selon que le contrat soit attaqué devant la juridiction judiciaire ou administrative.

Sur la nature juridique des contrats de la commande publique

Les contrats de la commande publique, c’est-à-dire les marchés publics et les concessions, sont des contrats conclus à titre onéreux (article L.2 du code la commande publique) pour satisfaire des besoins en matière de travaux, de fournitures ou de services.

Ces contrats sont construits autour des notions de pouvoir adjudicateur et d’entité adjudicatrice qui incluent des personnes privées et des personnes publiques. Dès lors, le code de la commande publique ne modifie pas les règles de qualification du caractère administratif ou de droit privé des contrats qui lui sont soumis.

Ainsi les contrats de la commande publique peuvent être des contrats administratifs ou des contrats de droit privé et être de ce fait, justiciable au juge administratif ou du juge judicaire.

L’article L.6 du code la commande publique précise toutefois que les contrats de la commande sont administratifs dès lors qu’ils sont conclus par des personnes morales de droit public, sans doute afin de limiter le nombre de marchés publics de droit privé et de réduire les difficultés liées à la conciliation entre les règles du code de la commande publique et celles du droit privé (exemple sous l’empire du code des marchés publics TC, 5 juillet 1999, Commune de Sauve c/ Société Gestener). M. Pierre Delvové précise que « le critère organique suffit, sans qu’il y ait lieu de s’interroger sur les aspects matériels »[3] et qu’il n’est alors plus nécessaire de rechercher si les marchés publics conclus par une personne publique visent à satisfaire un besoin se rattachant à une activité de gestion publique ou de gestion privé.

A titre d’illustration, les marchés de travaux passés par une commune pour rénover des logements relevant de son domaine privé est administratif alors même qu’ils visent l’accomplissement d’une activité de gestion privée.

S’agissant des contrats de droit privé de la commande publique, ils sont conclus par tous les acheteurs ‘personnes privées’ (Sociétés d’économies mixtes locales ou sociétés publiques locales) et par certains acheteurs ‘personnes publiques’ (quasi-régie et contrats de coopération entre pouvoirs adjudicateurs), à la condition toutefois que ces contrats ne satisfassent pas « en raison de leur objet ou de leur clause » aux critères jurisprudentiels de qualification d’un contrat administratif suscité.

La qualification de contrat de la commande publique dispose donc d’une portée juridique limitée puisqu’elle ne détermine pas précisément et complétement la nature juridique du contrat qui reste forcément de droit administratif ou de droit privé compte tenu de la structure binaire du droit français.

Sur le régime juridique des contrats de la commande publique

Le droit de l’Union européenne a permis la création de recours en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles sont soumis la passation par les pouvoirs adjudicateurs ou les entités adjudicatrices des contrats (de droit privé ou de droit public). Ces recours, qui permettent de garantir le respect du droit de la commande publique, sont les référés précontractuels (à intenter avant la signature du contrat) et les référés contractuels (à intenter après la signature du contrat).

Ces deux actions peuvent être intentées de manière identique soit devant le juge judiciaire, si le contrat de la commande publique est de droit privé ou soit devant le juge administratif, si le contrat est administratif.

Cependant, la pratique du référé précontractuel des contrats privés de la commande publique est plus difficile à mettre en œuvre devant l’ordre judiciaire. En effet, la procédure régie par les articles 1441-1 et suivants du code de procédure civile s’apprête moins que la procédure régie par les articles L.551-1 et suivants du code de procédure administrative en ce qui concerne la célérité requise pour ce type de recours.

De plus, devant l’ordre administratif, un tier ou un candidat évincé dispose d’un recours, une contestation de validité du contrat résultant de la décision Département de Tarn-et-Garonne du Conseil d’Etat du 4 avril 2014.

Or, un candidat évincé d’un contrat privé de droit de la commande ne dispose pas d’une telle voie de recours en nullité du contrat malgré l’action en nullité prévue par l’article 1178 du code civile. La juridiction judiciaire n’ayant pas encore retenu une telle voie de droit.

Par ailleurs, le Conseil constitutionnel dans sa décision du 2 octobre 2020 a précisé la constitutionnalité de l’irrecevabilité d’un recours en contestation de validité d’un contrat privé de la commande publique. Les juges suprêmes considèrent que les contrats administratifs et les contrats privés répondent à des finalités différentes et que dès lors cette différence de traitement ne méconnait le principe d’égalité devant la loi.

Les candidats évincés d’un contrat de la commande publique disposent cependant de la possibilité, en sus du référé contractuel, d’intenter un recours extracontractuel en responsabilité civile (article 1240 du code civile) afin d’obtenir des indemnités.

En conclusion : contrat administratif ou contrat privé ?

En conclusion, les contrats de la commande publique peuvent être des contrats administratifs à raison de sa qualification législative si le pouvoir adjudicateur ou l’entité adjudicateur est une personne morale de droit public. A ce titre, tout contentieux relève de la compétence du juge administratif. Cependant, les contrats de la commande publique peuvent aussi être des contrats privés à raison de sa qualification législative ou si le pouvoir adjudicateur ou l’entité adjudicatrice est une personne morale de droit privée, à condition que cette dernière ne soit pas sous l’influence d’une personne publique ou que le contrat ne répond aux critères jurisprudentiels permettant la qualification d’un contrat administratif.

Cette dichotomie du contentieux selon la nature du contrat de la commande publique pose la question de sa pertinence. En effet, l’émergence en droit de l’Union européenne des principes de transparence et de non-discrimination ainsi que des notions de pouvoir adjudicateur ou d’entité adjudicatrice permettent d’appliquer un régime homogène entre les contrats administratifs de la commande publique et les contrats privés de la commande publique. Marion Ubaud-Bergeron évoque alors qu’il « ressort de ce contentieux le sentiment d’un effacement partiel de la distinction des contrats administratifs et des contrats privés soumis en partie à des règles de passation équivalentes, relevant de procédures juridictionnelles identiques, poursuivant un objectif comparable de transparence et de libre concurrence »[1].

Ce dualisme normatif et juridictionnel à la française doit-il être encore maintenu ?

[1] Mme Marion Ubaud-Bergeron, « Le champ d’application organique des nouvelles dispositions », Revue française de droit administratif, 2016, p. 218.

[2] François Brenet, Les contrats > de droit privé des personnes publiques, AJDA 2021 p.76,

[3] M. Pierre Delvolvé, « Le contentieux récent de la validité des contrats publics : essai de comparaison entre contrats administratifs et contrats de droit privé », in La scène juridique : harmonies en mouvement, Mélanges en l’honneur de Bernard Stirn, Dalloz, 2019, p. 165 et s

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