L’actualité de la commande publique est marquée ces derniers mois par la hausse des prix. Puisque la question principale est – comment y remédier ? – une possibilité a été consacrée : la modification des clauses financières d’un marché.

Dans la famille « actualité de la hausse des prix »…

La publication de la « Circulaire Borne » ce 29 septembre 2022 est la suite d’une série d’autres dispositions que nous allons prendre soin de reprendre ici, avec notamment en mars dernier la « circulaire Castex » relative à l’exécution des contrats de la commande publique dans le contexte actuel de hausse des prix.

Cette circulaire livrait ses recommandations, comme par exemple l’application de la théorie de l’imprévision, le gel des pénalités ou encore l’insertion systématique d’une clause de révision de prix. Pour ce dernier point la circulaire précisait que les clauses de révision par ajustement ne devaient plus contenir de clause butoir ou de sauvegarde.

En pratique ces mécanismes ne suffisent pas. Face à ces difficultés – et nous l’évoquions dans un article précédent (voir article : Comment envisager les impacts du conflit russo-ukrainien sur la commande publique ?) –  les acteurs de la commande publique se sont interrogés sur des mécanismes complémentaires, notamment, la modification de la clause de révision de prix des contrats en cours.

La Direction des affaires juridiques de Bercy (DAJ) a donc pris soin d’interroger le Conseil d’Etat sur ce sujet brûlant. Voici ce qu’elle précise dans sa nouvelle fiche technique sur le sujet de la hausse des prix :

« Dans ce contexte, et alors que, d’une part, ni les directives européennes de 2014 relatives aux marchés publics et aux contrats de concession, ni […] leur codification en droit interne n’ont précisé le champ des modifications rendues possibles en cas de circonstances imprévisibles, et que, d’autre part, aucune jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) ou du Conseil d’État (CE) n’a été rendue sur ce point depuis l’entrée en vigueur de ces textes, le Gouvernement a interrogé le CE sur les possibilités offertes par le droit de la commande publique pour modifier les conditions financières et la durée des contrats de la commande publique pour faire face à des circonstances imprévisibles, ainsi que leur articulation avec la théorie de l’imprévision. »

… donnez-moi l’avis du Conseil d’Etat.

Le tant attendu avis du Conseil d’Etat a été publié le 15 septembre 2022. Cet avis, rendu en Assemblée Générale s’attache ainsi à répondre à LA question.

Les dispositions du code permettent-elles de procéder à une modification d’un contrat portant uniquement sur le prix sans aucune modification des caractéristiques et des conditions d’exécution des prestations pour compenser les surcoûts que le cocontractant allègue subir ?

Rappelons que jusqu’alors la doctrine de la DAJ était la suivante : toute modification des clauses financières en cours d’exécution est impossible. Ainsi on pouvait lire dans le guide sur les prix dans les marchés publics que « Le prix indiqué dans le marché, et sur la base duquel il est conclu, ne peut plus être modifié, hors clause de variation de prix : il est intangible. »

Pourtant depuis, aucune disposition du code de la commande publique ne permet de confirmer cela. Le Conseil d’Etat dans le point 4 de sa réponse vient enfin éclaircir la doctrine sur ce sujet.

Il précise ainsi qu’il ne résulte pas des dispositions du code, ni même des directives européennes que les modifications des contrats publics ne peuvent porter sur les clauses financières. Une modification des seules clauses financières n’est en ce sens pas prohibée (modification « sèche » du prix).

Au regard de la jurisprudence européenne cette fois le CE répond que si la CJUE prohibe par principe la modification substantielle d’un contrat en cours d’exécution, sa jurisprudence était antérieure aux directives européennes de 2014 et à leurs transpositions.

Ainsi selon le CE, la jurisprudence européenne ne fait pas obstacle aux modifications, y compris du prix ou de la durée, notamment lorsque l’administration se trouvent confrontés à des circonstances imprévisibles.

Une fois le principe d’intangibilité absolue du prix rompu, les sages du Palais Royal précisent les modalités d’application. Ainsi de telles modifications sont possibles si elles peuvent être regardées, au sens des dispositions du code[1], donc soit comme des modifications rendues nécessaires par des circonstances imprévisibles ou des modifications non substantielles ou encore de faible montant.

En outre le cocontractant de l’administration ne saurait se prévaloir d’un droit à ce que le contrat soit modifié. La modification du contrat revendiquée par le titulaire doit être acceptée par la personne publique. La modification n’est qu’une faculté pour les parties.

… donnez-moi les 13 mesures des Assises du bâtiment

Quelques jours après la publication de cet avis, soit le 22 septembre 2022 le Gouvernement a annoncé 13 mesures pour soutenir et simplifier les opérations économiques du secteur du bâtiment et des travaux publics.

Au titre de cette annonce, voici quelques mesures que les acheteurs doivent avoir à l’esprit :

  • Le relèvement du seuil des avances de 20% à 30% pour les marchés conclus avec des PME
  • Le rebond de l’avis du CE : il est possible de réviser les prix dans les marchés publics en cours
  • La pérennisation à 100 000€ du seuil de dispense de procédure pour les marchés publics de travaux
  • L’abaissement du délai de 6 à 4 mois entre le moment de la notification et l’Ordre de service de démarrage

… donnez-moi la « circulaire Borne »

Le petit dernier de la famille « actualité de la hausse des prix » est la « circulaire Borne » du 29 septembre 2022.

Cette circulaire remplace la circulaire Castex qui proscrivait la modification des seules clauses financières d’un contrat par voie d’avenant et qui invitait les acheteurs à procéder à une indemnisation des titulaires justifiant de surcoûts au titre de la théorie de l’imprévision.

Ainsi ce qu’il faut retenir de cette nouvelle circulaire est que les conditions économiques du contrat peuvent justifier une renégociation des prix ou des autres clauses financières en application des articles[2] du code qui prévoient de modifier le contrat lorsque la modification est rendue nécessaire par des circonstances qui ne pouvaient pas être prévues.

Attention néanmoins, cette modification doit être strictement limitée à ce qui est rendu nécessaire par les circonstances imprévisibles pour assurer la continuité du service public et la satisfaction des besoins de la personne publique. Il est nécessaire de demander aux entreprises des justificatifs des surcoûts subis et les modifications restent limitées à 50% du montant initial.

En conclusion, un nouvel outil est offert aux acteurs de la commande publique pour remédier à la hausse des prix, la modification « sèche » des conditions financières. Cela peut donc consister à modifier les prix d’un contrat, ou modifier les clauses de réexamen et notamment de révision des prix convenues initialement au contrat si leur application ne suffit pas à opérer la compensation voulue. Ce peut être encore l’intégration d’une telle clause si elle n’était pas prévue initialement. Le tout dans le respect du cadre fixé par le code.

Laurène BERNARDAUD
Juriste consultante – Chef de projet Ordiges France
Spécialisée en droit de la commande publique

[1] Article L2194-1 et Articles R2194-1 et suivants du Code de la commande publique
[2] Articles R2194-5 (marchés) et R3135-5 (concessions) du Code de la commande publique

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