Le Conseil d’Etat a rejeté, dans sa décision du 25 novembre dernier (CE 25 nov.2021, Collectivité de Corse, RES. N°454466), le pourvoi de la collectivité de Corse et ainsi prononcé l’annulation d’un contrat public pour méconnaissance du principe d’impartialité, constitutive d’un « vice d’une particulière gravité ».

Dans les faits, une procédure d’appel d’offre ouverte en vue de la passation d’un accord cadre à bons de commande a été engagée par la collectivité de Corse. L’entreprise Corsica Networks a vu son offre rejetée tandis que l’entreprise NXO France s’est vue attribuée le marché. Il s’avère que l’agent ayant contribué à l’analyse des offres occupait des fonctions de haut niveau de représentation locale, en relation directe avec le contenu du marché, dans la société attributaire quelques mois auparavant.

La société Corsica Networks a assigné, devant le tribunal administratif de Bastia, la collectivité de Corse afin de demander l’annulation du marché conclu, le 21 septembre 2018, entre la collectivité de Corse et la société NXO France ainsi que l’indemnisation pour les préjudices subis du fait de son éviction de la procédure de passation du marché ou, à titre subsidiaire, des préjudices découlant des frais exposés. Le tribunal administratif a rejeté, le 9 juin 2020, la demande de la société évincée, et cette dernière fait appel devant la cour administrative d’appel de Marseille.

Le 14 juin 2021, la cour administrative d’appel de Marseille a annulé ce jugement ainsi que le marché avec un effet différé. En effet, la juridiction d’appel a estimé que « eu égard au niveau et à la nature des responsabilités confiées à M. E… au sein de la société NXO France puis des services de la collectivité de Corse et au caractère très récent de son appartenance à cette société, sa participation à la procédure de sélection des candidatures et des offres pouvait légitimement faire naître un doute sur la persistance d’intérêts liant M. E… à la société NXO France et par voie de conséquence sur l’impartialité de la procédure suivie par la collectivité de Corse. Il appartenait dès lors à cette dernière, qui avait connaissance de la qualité d’ancien salarié de la société NXO France de M. E.., de mettre en œuvre, une fois connue la candidature de cette société, toute mesure en vue de lever ce doute légitime, par exemple en l’écartant de la procédure d’analyse des offres. La société Corsica Networks est dès lors fondée à soutenir que la collectivité de Corse a méconnu ses obligations de publicité et de mise en concurrence en s’abstenant de prendre une telle mesure » (CAA de MARSEILLE, 6eme chambre – formation a 3, 14/06/2021, 20MA02773, Inédit au recueil Lebon).

Par un pourvoi sommaire, la collectivité de Corse demande devant le Conseil d’Etat l’annulation de cet arrêt. Le Conseil d’Etat ne s’est pas prononcé en faveur de la collectivité.

La situation de conflit d’intérêts constitutive d’un manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence dans le cadre d’un contrat public

Le Conseil d’Etat a commencé par rappeler dans sa décision la compétence du juge pour constater l’existence des vices entachant la validité d’un contrat et d’en apprécier les conséquences.

Puis, le principe d’impartialité, principe général du droit s’imposant à toute autorité administrative, a été explicité. Il implique l’absence de situation de conflit d’intérêts au cours de la sélection du titulaire d’un contrat public. Selon l’article L.2141-10 du code de la commande publique, il s’agit de « toute situation dans laquelle une personne qui participe au déroulement de la procédure de passation du marché public ou est susceptible d’en influencer l’issue a, directement ou indirectement, un intérêt financier, économique ou tout autre intérêt personnel qui pourrait compromettre son impartialité ou son indépendance dans le cadre de la procédure de passation du marché public ». Le juge précise que « l’existence d’une situation de conflit d’intérêts au cours de la procédure d’attribution du marché est constitutive d’un manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence susceptible d’entacher la validité du contrat ».

La méconnaissance du principe d’impartialité entrainant l’annulation du contrat public

Le juge a estimé que la participation de l’agent de la collectivité à la procédure de sélection des candidatures et des offres « pouvait légitimement faire naitre un doute sur la persistance d’intérêt […] et par voie de conséquence sur l’impartialité de la procédure ».

En invoquant la méconnaissance du principe d’impartialité commis par la collectivité de Corse constitutive d’un vice grave, le Conseil d’Etat permet l’annulation du contrat public.

L’application de cette règle de droit permet de mettre un point d’attention particulier pour les autorités publiques si ces dernières ne veulent pas voir leurs marchés publics entachés d’une annulation. Elles doivent, en effet, écarter tout risque de conflit d’intérêt si un doute est existant avant l’implication de l’agent dans la procédure de passation du marché.

L’indemnisation de la perte de chance sérieuse d’obtenir le contrat public

Le Conseil d’Etat évoque la compétence des juges concernant l’établissement de la perte de toute chance d’un candidat de remporter le contrat. Ainsi, « lorsqu’un candidat à l’attribution d’un contrat public demande la réparation du préjudice né de son éviction irrégulière de ce contrat et qu’il existe un lien direct de causalité entre la faute résultant de l’irrégularité et les préjudices invoqués par le requérant à cause de son éviction, il appartient au juge de vérifier si le candidat était ou non dépourvu de toute chance de remporter le contrat. En l’absence de toute chance, il n’a droit à aucune indemnité ».

En l’espèce, pour retenir ou non cette perte de chance, le juge s’est penché sur les notes attribuées aux critères de la valeur technique et du prix de la société évincée. Il a estimé que dans le cadre d’une procédure dépourvue de manquement d’impartialité, et au regard des qualités concurrentielles de son offre, la société Corsica Networks disposait de chances sérieuses d’obtenir le marché.

Le droit de la commande publique impose aux acheteurs publics le respect de règles et d’obligations permettant aux entreprises, considérées comme la partie faible au contrat, de disposer de moyens de recours afin de faire valoir leurs droits. Cet arrêt illustre bien la nécessité de respecter ces principes et les conséquences possibles en cas de manquement.

Gwendoline GILLET
Juriste-consultant et Chef de projet Ordiges FranceSpécialisée en Droit public des affaires et contrats publics

 

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