Ces derniers mois la commande publique est, comme d’autres secteurs, sensiblement impactée par les effets du conflit russo-ukrainien.

Face à la hausse des prix et à l’interdiction de contracter avec la Russie, les acheteurs sont-ils suffisamment armés ?

Réagir à la hausse des prix

Le contexte de sortie de crise sanitaire, auquel s’ajoute le contexte géopolitique issu de la guerre en Ukraine entraine des hausses de prix complémentaires à celles connues en 2021. (Voir en ce sens notre article L’aménagement des marchés publics confrontés à une flambée des prix et à une pénurie d’approvisionnement des matières premières).

Si les causes sont différentes, les conséquences sont équivalentes. Les difficultés d’approvisionnement, la flambée des prix, mettent en péril l’équilibre financier de certains marchés publics.

Les outils mis à dispositions dans le code sont-ils suffisants ?

Il est évidemment possible comme la Direction des affaires juridiques (DAJ) de Bercy l’a déjà plusieurs fois rappelé de renoncer à l’application des pénalités de retard ou encore d’aménager les délais d’exécution. S’ajoute à cela l’importance de la clause de révision des prix, qui permet de préserver l’équilibre économique du contrat. Mais quand cela ne suffit plus, ne reste-t-il que la théorie de l’imprévision ?

Dans la circulaire n°6338-SG du 30 mars 2022 relative à l’exécution des contrats de la commande publique dans le contexte actuel de hausse des prix de certaines matières premières il est rappelé que « le droit du titulaire à indemnité peut être reconnu lorsque, même après application des clauses contractuelles, l’économie du contrat est bouleversée. »

Sur la forme, cette indemnisation d’imprévision n’est pas un avenant au contrat puisqu’elle n’a pas pour vocation d’en modifier les stipulations mais seulement de compenser temporairement des charges extracontractuelles. L’imprévision est formalisée par une convention liée au contrat.

La modification de la clause de révision est-elle une solution ?

Pour les contrats en cours, la question qui anime certains acheteurs ces dernières semaines, est celle de la modification de la clause de révision par avenant. Pourtant la doctrine de la DAJ est constante sur ce point[1] : la clause de variation des prix est intangible et ne peut être modifiée.

Néanmoins cette affirmation est mise en balance, d’une part du fait de l’absence de cette interdiction de manière explicite dans le code (ce qui n’est pas écrit n’est pas interdit ?) et d’autre part étant donné la faculté offerte aux acheteurs de modifier le contrat en cas de circonstances imprévues.  Cela, en application de l’article R.2194-5 du code avec une limite fixée à 50% d’augmentation.

Cette dernière hypothèse permettrait d’ajuster la clause de révision des prix. Une décision récente semble aller dans le sens de cette interprétation. Il s’agit de la décision de la CAA de Douai du 24 avril 2022 qui dans son point 5 parait considérer que les parties en causes auraient pu modifier la clause de révision des prix par avenant, dès lors qu’en cours d’exécution, une circonstance nouvelle indépendante de leur volonté remettait en cause les conditions économiques du contrat. En l’espèce il s’agissait du changement de composition de l’index TP09.

Pour les contrats à venir, il convient plutôt d’intégrer systématiquement une clause de révision de prix, à laquelle il est possible d’assortir une clause de réexamen conformément à l’article R2194-1 du code. Cette clause de réexamen peut être utile pour les contrats qui sont constitués d’une part importante de matières premières. Toutefois la clause doit être suffisamment claire, précise et non équivoque. Cela passe par la nécessité de fixer un élément déclencheur, un champ d’application, ainsi que l’étendue de la modification envisagée et les modalités de mise en œuvre.

Ainsi par exemple, lorsque les circonstances exceptionnelles ont une incidence sur l’exécution du marché au-delà d’un seuil défini, les parties pourraient envisager de modifier la formule (index, terme fixe, ou périodicité). Il pourrait s’agir aussi de prévoir de substituer des matériaux en cours d’exécution.

Si les acheteurs sont déjà préoccupés par ces hausses, leurs conséquences et les stratégies à mener, il reste à s’assurer que le marché n’est pas conclu de près ou de loin avec la Russie.

 

Considérer les sanctions des contrats conclus avec la Russie

Le Règlement européen n°2022/576 du Conseil du 8 avril 2022 prévoit une interdiction de conclure ou poursuivre les contrats publics en cours d’exécution avec la Russie, dès lors qu’ils sont supérieurs aux seuils européens.

Pour les marchés en cours, la sanction est la résiliation. Il est en effet précisé que tout contrat en cours au 9 avril 2022, qui ne serait pas échu au 10 octobre 2022, doit être résilié avant cette date.

Le contenu du Règlement a fait l’objet d’une fiche technique par la DAJ, pour autant l’application de ces sanctions n’est pas sans difficultés pour les acheteurs. Comment s’assurer de l’implication d’une société russe pour les marchés en cours et à venir, quels documents utiliser ? En cas de résiliation, est-il possible de relancer dans l’urgence ?

Pour répondre à ces interrogations, une FAQ de la Commission européenne a été mise en ligne, elle est constituée de 35 questions-réponses.

Par exemple, la Commission propose, pour s’assurer qu’il n’y a pas d’implication russe dans le contrat, un modèle de déclaration sur l’honneur (Q11). Elle précise également que toute entreprise impliquée dans une procédure ou un marché public, qu’elle soit cotée en bourse ou non, est tenue de fournir des informations détaillées sur ses propriétaires, dans la mesure du nécessaire pour établir qu’elle n’est pas détenue par des Russes au-delà de la limite interdite (Q24). Il est également précisé que les acheteurs publics sont autorisés à faire toutes demandes d’informations sur la propriété et que cela est conforme à l’article 6 du RGPD (Q25).

 

Alors, vous sentez vous suffisamment armés pour faire face à ces difficultés ?

 

[1] Position réaffirmée par Laure Bédier directrice de la DAJ, le 19 mai 2022 dans l’émission « achatpublic invite ».

Laurène BERNARDAUD

Juriste consultante – Chef de projet Ordiges France

Spécialisée en droit de la commande publique

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