Dans le cadre de son action, l’administration passe de nombreux contrats. On parle de contractualisation de l’action administrative. Elle se matérialise par une diversité de contrats se rattachant à une catégorie des contrats spéciaux qui sont soumis à des règles spécifiques. C’est le cas des marchés publics qui peuvent prendre des formes diverses.

Cependant, tous les contrats passés par l’administration ne sont pas que des contrats administratifs (pour en savoir plus à ce sujet, veuillez vous référer à cet article). Il arrive qu’elle passe des contrats qui relèvent du droit commun constitutif des contrats de droit privé.

Distinction également lorsque le contrat relève de la gestion privée de la personne publique. Ces contrats seront alors soumis à des règles distinctes de celles qui s’appliquent aux contrats de droit public. La question qui se dégage est de savoir quel juge est compétent pour régir les différentes opérations contractuelles.

Afin de savoir à quel contentieux relève le contrat passé par l’administration, il convient d’identifier la nature du contrat litigieux. Les textes de lois sont à l’origine d’une qualification précise et c’est en cas de silence de la loi qu’il convient d’appliquer des critères jurisprudentiels.

La délimitation de la nature du contrat par le juge : contrat administratif ou contrat privé ?

Contrairement au droit français, le droit de l’UE est indifférent à la nature publique ou privée du pouvoir adjudicateur. La notion de contrat n’est pas fondamentalement différente en droit administratif et en droit civil. Pour le juge européen, la personne morale de droit privé soumise au code de la commande publique est créée pour satisfaire spécifiquement des besoins d’intérêt général autre qu’industriel et commercial.

Ainsi, une personne privée est soumise au code de la commande publique pour la passation de ses contrats lorsque 3 conditions sont réunies :

  • Son activité est financée majoritairement par des fonds publics.
  • Sa gestion est contrôlée par le pouvoir adjudicateur.
  • L’organe de direction est composé de plus de la moitié de représentants du pouvoir adjudicateur.

Ces critères cumulatifs sont formalisés par l’article L1211-1-2° du code de la commande publique.

Tel est le cas d’un syndicat d’économie mixte définie aux articles L. 1521-1 et suivants du CGCT comme : “est une personne morale de droit privé, constituée sous la forme d’une société anonyme de droit commercial, et présentant la particularité d’avoir un capital social partagé entre un actionnariat public et un autre privé”.

La SEM peut réaliser des opérations d’aménagement, de construction ou d’exploitation de services publics à caractère industriel ou commercial ou de toute autre activité d’intérêt général dans le cadre des compétences attribuées par la loi. Dans le cadre d’un contrat conclu par une SEM, se pose la question de sa nature.

La qualification du contrat conclu par une SEM

Le conseil d’Etat dans sa décision “Société Les compagnons paveurs”,  CE, 25 oct. 2017, n° 404481,  précise qu’est administratif un contrat conclu par une SEM que s’il  est regardé comme un mandataire agissant pour le compte d’une personne publique. À défaut, “le contrat est réputé de droit privé y compris lorsqu’elle conclut des marchés de travaux ayant pour objet la réalisation d’équipements destinés à être remis à la personne publique dès leur achèvement”.

En effet, une personne privée titulaire d’une concession d’aménagement ne peut être regardée comme agissant pour le compte d’une personne publique que si la totalité des ouvrages qu’elle réalise pour l’exécution du contrat doivent être remis à la personne publique dès leur achèvement.

Les modalités de résiliation pour un contrat de droit privé conclu par une SEM

La résiliation peut se définir comme la décision de mettre fin au contrat avant la survenance de son terme. C’est une prérogative reconnue à l’administration qui peut, par décision unilatérale mettre fin au contrat pour motif d’intérêt général même si le contrat ne le prévoit pas expressément.

Si la résiliation pour motif d’intérêt général est une particularité des marchés publics, peut-on l’attribuer aux seuls marchés de droit privé soumis au code de la commande publique ?

Vraisemblablement, la résiliation pour motif d’intérêt général n’est pas propre qu’aux seuls marchés publics. Elle peut être compatible avec les marchés privés soumis au code de la commande publique. Dès lors, une clause peut être stipulée à l’exemple de celle qui régit les marchés publics.

Les modalités de résiliation et ses motifs constituent un domaine contractuel dans lequel se manifeste l’acuité de différence entre marchés publics et marchés privés.

Les marchés publics et privés sont soumis aux dispositions prévues aux CCAG[1]. Dans le cadre des marchés publics, l’acheteur peut en tout état de cause et en vertu des règles générales applicables aux contrats administratifs, mettre fin avant terme aux marchés publics, sous réserve des droits à indemnités des intéressés.

Contrairement au marché public, l’article 1794 du code civil prévoit le recours dans un contrat de droit privé d’une clause de résiliation pour motif d’intérêt. Ce recours n’est pas d’ordre public et le maître d’ouvrage peut y renoncer.

Quelle est la valeur d’une clause de résiliation pour motif d’intérêt général dans un contrat de droit privé ?

La résiliation pour faute ou justifiée donne lieu à une indemnisation prévue par les parties au contrat. En cas de résiliation du marché public pour un motif d’intérêt général, l’indemnité doit être proportionnée au préjudice.

Cette décision pourrait être applicable aux contrats de droit privé. Cependant, l’insertion d’une clause exorbitante de droit commun peut donner confusion dans la détermination de la compétence juridictionnelle.

Ainsi comme le précise bien le rapporteur M. Gilles PELLISSIER dans le cadre de la décision du conseil d’Etat CE, 25 oct. 2017, n° 404481: “ le critère organique fait obstacle à ce qu’il soit qualifié de contrat administratif, alors même que, comme le soutient l’appelante, l’aménageur serait un pouvoir adjudicateur au sens de l’ordonnance du 6 juin 2005, laquelle régit aussi des contrats de droit privé, qu’il l’investirait de prérogatives de puissance publique ou qu’il comporterait, par sa référence au CCAG Travaux, des clauses exorbitantes du droit commun. Ces critères matériels du contrat administratif ne se substituent en effet pas au critère organique, mais s’ajoutent le cas échéant à lui”.

L’appréciation du juge judiciaire des clauses exorbitantes de droit commun

Traditionnellement, peut être constitutif d’un motif de résiliation pour intérêt général un abandon de projet, des difficultés techniques rencontrées en cours d’exécution d’un marché, un motif budgétaire.

Le juge du contrat peut, selon la gravité des vices constatés, annuler une résiliation et ordonner la reprise des relations contractuelles ou octroyer une indemnité [2].

Dans son arrêt Cass. 3e civ. 11-5-2022 n°21-12.291  Sté Les Compagnons paveurs c/ Sté Brest métropole aménagement,  le juge estime que la résiliation est justifiée par un motif d’intérêt général et peut être prononcée par le maître de l’ouvrage, même en l’absence de faute de l’entrepreneur. Il conclut que le contrat litigieux dont il est question ne relève pas de la compétence du juge administratif mais plutôt du juge judiciaire et que le motif d’intérêt général de résiliation du contrat a été en l’espèce souverainement apprécié par le juge du fond.

           Article rédigé par Brigitte AMEWU et Prisca YAMEOGO,  Stagiaires Juristes Consultantes/ Chef de Projet

[1] Article 5 CCAG 2021.

[2] CE Ass., 21 mars 2011, Commune de Béziers, n° 304806.

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