Nous vivons actuellement dans une ère où tout est dématérialisé. Le monde du numérique ne cesse de s’accroitre et de fait, le droit et particulièrement le droit fiscal doit s’adapter afin de ne pas laisser de doute ou de vide juridique dans cette matière en plein essor.
Le monde actuel est en constant changement, ce qui a pour conséquences un bon nombre de mutations politiques, économiques et fiscales. Ainsi, les Etats sont dans l’obligation d’interagir et de se mettre d’accord sur certaines de ces mesures. Cependant, la souveraineté qui est propre à chaque Etat, sa politique, ses configurations économiques, son histoire etc… posent des difficultés quant à une action commune en matière fiscale.
La crise de la Covid-19 n’a rien arrangé et a fait naitre beaucoup d’inquiétudes et d’interrogations en matière de fiscalité mais pas seulement. En effet, cette question s’est déjà posée auparavant et encore aujourd’hui avec la taxe GAFA.
Cette taxe est au cœur des débats car elle revêt le caractère numérique qui est en expansion de nos jours. Le concept de plateformes numériques est large et changeant ; il regroupe plusieurs types de transactions opérées par différents types d’agents pour répondre à des besoins eux aussi très différents. Il existe des plateformes numériques telles que les plateformes de collaborations, les plateformes de comparateurs de prix ou encore les moteurs de recherches. Ces plateformes numériques sont très puissantes par leur influence sur le marché et par les chiffres d’affaires considérables que ces dernières produisent chaque année.
Ainsi, la taxe GAFA est une taxe spécifique au monde du numérique. Il s’agit en fait, d’une imposition propre aux entreprises multinationales et cette imposition se calcule sur la base du chiffre d’affaire réaliser en France. En effet, la France a souhaité mettre en place cette taxe afin de taxer les entreprises du numérique à hauteur de leur chiffre d’affaire réel réalisés sur le territoire français. La taxe GAFA a très souvent été au centre des préoccupations fiscales en France car cette dernière souhaitait une harmonisation en la matière. L’administration Trump s’est très fortement opposée à ce projet. Néanmoins, un accord a pointé le bout de son nez pour une imposition internationale. Cependant, cela semble poser quelques difficultés notamment pour les pays abritant les géants du numériques tels que Amazon et Google et qui sont l’un des socles forts de l’économie des Etats-Unis ; la résistance à taxer ces derniers dans un pays libéral tel que les Etats- Unis semble compréhensible.
Ainsi, tout l’intérêt du sujet relève donc d’une actualité toujours brûlante et au cœur des débats. Il est donc important de se pencher sur la question autant sur un plan pratique que théorique.
Il convient donc de se demander dans quelles mesures la taxe GAFA est-elle représentative des difficultés d’action commune des Etats en matière d’impôt sur la scène internationale ?
Afin de répondre à cette question qui relève d’un intérêt économique, fiscal et juridique certain, il conviendra d’évoquer les causes de la difficulté d’action commune des Etats en matière d’imposition notamment par le principe de souveraineté de ces derniers qui est un véritable frein à une action commune créant ainsi de vives tensions politiques qui n’arrangent rien et qui ne fait qu’obscurcir un peu plus l’avenir d’une possible action commune .
La taxe GAFA comme illustration d’un carrefour de souverainetés étatiques
La taxe GAFA représente des difficultés d’action commune des Etats à l’échelle internationale. En effet, elle est confrontée aux différentes souverainetés étatiques ; cependant relativisé par une volonté commune d’établir un système fiscal plus sain pour tous les opérateurs économiques.
La volonté commune d’un système fiscal sain
L’élaboration d’impôt sur le plan international pose énormément de difficultés quant à la collaboration commune des Etats en ce sens. La taxe GAFA en est la parfaite illustration car elle pose énormément de difficultés sur la scène internationale. En effet, cela est bien normal car le caractère international pose par essence une difficulté d’entente : plus les Etats concernés sont nombreux, plus il y aura des difficultés de trouver un accord qui satisfasse tout le monde. Les Etats ont des objectifs propres, des mesures économiques et politiques propres et égalent des mesures fiscales propres à chacun. Cependant, nous pouvons constater que la lutte contre les paradis fiscaux et le law shopping sont des combats communs mis sur le devant de la scène dans le processus d’élaboration de la taxe GAFA à l’échelle internationale.
En effet, la lutte contre les paradis fiscaux rassemble tous les Etats. Les paradis fiscaux sont des zones où la taxation est presque nulle voire nulle ce qui incite les entreprises à s’établir dans ces Etats afin d’échapper à la taxation. Ce scénario est une lutte permanente des Etats car ce phénomène représente un véritable « manque à gagner »1 pour les Etats. Ces paradis fiscaux résultats d’un law shopping représente donc un risque budgétaire et économique considérable méritant que l’on s’y intéresse.
Ainsi, même si les Etats ne sont pas toujours d’accord dans l’élaboration de mesures fiscales, ils possèdent tout de même un champ de bataille commun. La France n’hésite donc pas à appuyer sur cette lutte commune afin d’assoir l’unification de la taxe GAFA. Cependant, à vouloir trop s’endetter et rester dans une même dynamique alors même qu’il existe une crise mondiale avéré dans la mise en place de cette taxe, la France s’expose (peut-être plus que les autres) à des représailles de la part des autres Etats.
Entre désirs d’émancipation et souveraineté nuancée
Il est très clairement notable que le principe de souveraineté en matière de fiscalité alourdit le consensus à l’échelle internationale. En effet, la souveraineté fiscale est le corollaire de la souveraineté politique c’est pour cela que lorsque l’une est mise en marche, elle entraine dans son action, l’autre entrainant ainsi une réaction en chaine de frein des mécanismes juridiques et fiscaux. Cette difficulté est très clairement mise en avant par la volonté d’élaborer la taxe GAFA sur le plan international. En effet, à l’heure actuelle aucun consensus n’a encore été trouvé 2. Les Etats sont très souvent résistants lorsqu’il s’agit d’élaborer des mesures fiscales unifiées. Cette résistance s’explique par la souveraineté des Etats face à l’imposition qui est avant tout un pouvoir régalien.
Le principe de souveraineté fiscale est cependant à relativiser. En effet, parallèlement à cela, il y a la volonté de lutter contre la double imposition fiscale ; ce qui pousse tout de même les Etats à se mettre d’accord. L’action commune des Etats en matière fiscale est très difficile mais pas impossible. Ainsi, les autres branches du droit peuvent participer à cette action commune afin de la rendre possible. Par exemple, une directive en date du 28 novembre 2006 a mis en place un système commun d’assiette en matière de Taxe sur la valeur ajoutée (TVA) ; cela a donc permis une action commune des Etats membres de l’Union européenne facilitant ainsi sa mise en place. Toutefois, il est important de souligner que l’action commune des Etats en matière d’impôt sur le plan international est beaucoup plus difficile que sur le plan européen. Cette difficulté relève de la diversité des systèmes juridiques à l’échelle internationale ; diversité qui est toutefois relativisé par un droit commun européen. Pour illustration, la taxe GAFA met parfaitement l’accent sur cette problématique. Effectivement, pour la taxe GAFA il existe de sérieux désaccord sur le plan international beaucoup plus que sur le plan européen.
La taxe GAFA comme illustration de tensions politiques mondiales
La taxe GAFA est au centre de l’actualité économique, fiscale et juridique. Ainsi, la tension politique se fait clairement ressentir sur la scène internationale. Certains Etats comme les Etats-Unis n’hésitent pas à faire blocus face à cette taxe GAFA par des mesures de rétorsions afin de bien marquer leur désaccord . Tout ce climat politique, juridique et fiscal accentué par la tension de l’état sanitaire mondial ne fait qu’assombrir un peu plus la visibilité d’un avenir meilleur .
Une rivalité des Etats : la menace de mesures de rétorsion
Les relations internationales posent des difficultés dans la mise en œuvre de l’impôt car les Etats peuvent être amenés d’une certaine manière à se concurrencer face au manque à gagner de chaque Etat face à un impôt donné. Dans le cas de la volonté d’élaborer la taxe GAFA sur le plan international, la France souhaite continuer le combat toute seule 3 et ce face à l’adversité des Etats européens (à l’exception de l’Allemagne, l’Espagne et l’Italie). Le ministre français des finances, Monsieur Bruno Le Maire a affiché la volonté de ne pas faiblir face à la résistance des autres Etats. La volonté est claire ; par cette annonce la France n’abandonnera jamais sa volonté de taxer les entreprises du numérique. Cette résistance face à l’adversité peut être dangereuse face à de grandes puissances économiques telles que les Etats Unis.
Face à l’entêtement français, les Etats-Unis ne cachent pas leur mécontentement et vont même jusqu’à menacer les Etats qui n’iraient pas dans leur sens. Ainsi, l’administration Trump a menacé la France de mettre en place des mesures de rétorsion4 afin que cette dernière stoppe le combat de la mise en œuvre de la taxe GAFA. Ces mesures constitueront à freiner voir à interdire les importations de produits français tels que certains produits de luxe5 qui font la renommée de la France sur la scène internationale.
Dans le processus d’élaboration de la taxe GAFA, la France marque clairement son indépendance cependant, elle reste tout de même nuancée face à la menace des Etats- Unis. En effet, la France avait consenti à suspendre la taxe jusqu’à la fin du mois de décembre 2020 (le temps que l’OCDE parvient a trouvé un accord international). Cependant, en décembre 2020, aucun accord n’a encore été trouvé. La France revient donc sur sa position et annonce le début de l’imposition dés 2021. Cette mesure n’est pas très bien accueillie et elle risque également de crée des différends avec les autres Etats surtout vu le contexte actuel de crise sanitaire. Cette prise de position présage donc un avenir incertain.
Un avenir incertain
L’Organisation de Coopération et de Développement Economique est encore aujourd’hui en cours de négociation. L’OCDE demeure encore au centre des tables de négociations afin de trouver un consensus international.
La volonté initiale était de parvenir à un accord d’ici la fin de l’année 2020. À l’heure actuelle, nous sommes presque à la fin de l’année 2022 et aucun consensus n’a encore été trouvé. Il est très largement notable que l’effet de la crise sanitaire que connait le monde n’a pas arranger les choses ; bien au contraire.
Ainsi, la négociation se poursuit toujours selon les trois piliers du processus d’élaboration de la taxe GAFA qui sont tout d’abord d’élaborer et de dresser des critères objectifs des entreprises numériques assujetties à cette taxe. Ensuite, chaque Etat devra poser des seuils d’imposition au visa de la réalisation du chiffre d’affaire de ces entreprises numériques sur chaque Etat. Enfin, la possibilité d’un arbitrage international sera offerte aux entreprises visées par la taxe afin de régler les litiges entre les Etats et ces dernières 6. Tous ces critères puisent leur raison d’être dans la volonté d’éviter la double imposition fiscale. Également, le G8 a soutenu les travaux de l’OCDE afin de trouver une médication à l’érosion des bases d’imposition au niveau de l’impôt sur les sociétés. Cette médication a été envisagé sur le domaine de la taxe GAFA.
À l’heure actuelle, aucun consensus n’a encore été trouvé et de facto depuis 2021, et le projet a pris du retard et ne verra pas le jour avant 2023 voire 20247 ; le temps de trouver un arrangement à l’échelle internationale. L’avenir nous dira la suite de cette saga fiscale et politique en l’espérant plus rose que le processus de négociation et d’élaboration.
Pour conclure, l’élaboration de la taxe GAFA est représentative des difficultés d’action commune des Etats en matière d’imposition sur l’échelle mondiale. En effet, il est difficile de faire coïncider des systèmes juridiques, fiscaux et économiques souverains. Or, une action commune est primordiale pour un climat international sain. En effet, les Etats sont souverains et indépendant mais seulement sans une certaine mesure. Ainsi, ces derniers doivent agir à l’unisson afin d’être efficace dans leur lutte commune contre l’évasion et la fraude fiscale. Cette mission s’avère d’autant plus difficile dans le contexte actuel car l’état sanitaire mondial n’arrange rien. Toutefois, il existe heureusement l’Organisation de Coopération et de Développement Économiques afin de calmer les esprits et de procéder aux négociations sur la scène internationale.
L’action commune des Etats est donc très difficile mais pas impossible et le retour à la normale de la situation sanitaire mondiale aura peut-être raison d’une action commune des Etats en matière d’imposition sur le plan international.
1 Taxe Google, « Un fiasco à répétition », OBS du 22/10/2020, p.54
2 Fiscalité du numérique : pas d’accord international avant la fin de l’année (AFP du 12/10/2020)
3 Faute d’accord international, Paris réclamera une taxe GAFA européenne en 2021
4 Taxe Gafa versus sanctions américaine sur les produits français : le statu quo (Fiscalonline du 10/09/2020)
5 Taxe Gafa versus sanctions américaine sur les produits français : le statu quo (Fiscalonline du 10/09/2020)
6 Taxe Google : le fiasco à répétition, OBS du 22/ 10/2020
7 Taxe GAFA : pas avant 2023…au mieux | Silicon
Article rédigé par Souhella TAYA Juriste-Consultant Ordiges France marché public / commande publique
Juriste spécialisée en Droit international des Affaires, Droit Privé, Droit Pénal et Sciences Criminelles
Gratuated from English Language Institute at University of Central Florida, UCF Global, Orlando, FL, USA
https://www.linkedin.com/in/souhella-taya-314667194/
Sources :
– Taxe Google : le fiasco à répétition, OBS du 22/ 10/2020 https://www.nouvelobs.com/economie/20201023.OBS35107/la-taxe-google-un-fiasco-a-repetition.html
– Faute d’accord international, Paris réclamera une taxe GAFA européenne en 2021
https://www.lefigaro.fr/flash-eco/faute-d-accord-international-paris-reclamera-une-taxe-gafa-europeenne-en-2021-20200911
– Taxe Gafa versus sanctions américaine sur les produits français : le statu quo (Fiscalonline du 10/09/2020)
https://fiscalonline.com/International/taxe-gafa-vs-sanctions-americaines-sur-les-produits-francais-le-statu-quo
– Fiscalité du numérique : pas d’accord international avant la fin de l’année (AFP du 12/10/2020)
https://www.20minutes.fr/monde/2883259-20201012-fiscalite-numerique-accord-international-sein-ocde-avant-fin-annee